les " contes et lavanes " de Birago Diop

ou la leçon de M'BAM, L'ANE
par André TERRISSE

Déféna Birago danama bâle akhe nimo bâlé m'bami dokhotam ( J 'espère que Birago me pardonnera l'offense comme il a pardonné à l'âne son pêt ! )

Me voici à nouveau mélancolique ayant refermé après une lente et gourmande lecture les " contes et lavanes " de Birago Diop
Mélancolie de laisser échapper sans doute certaines subtilités de la pensée épices du plat robuste que nous sort une fois encore la sage, le tendre le précieux conteur sénégalais:
Ce livre nous apporte t'il quelque chose de nouveau?
Peut-être… Mais Birago Diop a t'il besoin de se renouveler, lui qui a hérité de tous les dans eu conteur et qui a au les ajuster à une langue française habilement
assouplie à son usage une langue solide, épaisse et douce à la fois, comme la peau de mouton de Sa M'Baye.
Nous trouvons donc les contes classiques où les animaux incarnent des personnages derrière lesquels apparaissent toujours le méchant, le fourbe, le rusé, le trompeur, le trompé, le puissant, la victime.
La trame de ces contes me parait d'ailleurs moins d'intérêt que d'ordinaire. l'Histoire, le récit lui-même, apparaissent souvent comme mineurs, séquelles d'un folklore un peu surexploité.
Mais qu'importe puisqu'ils ne sont que prétexte à conter.
Et l'inépuisable talent de l'auteur porterait le rédît le plus plat, l'histoire la plus terne, par le seul pouvoir du style.
Essayons d'analyser ce qui en fait le charme. D'abord je crois que pour nous Français Birago Diop est l'un des rares écrivains africaine qui ose nous faire les complices de sa pensée ; il nous parle à l'oreille, nous glisse au cours
du récit le pourquoi de quelque nuance, nous entraînant ainsi insensiblement â l'aide de notre propre langue, dans l'intime promiscuité de sa pensée:
Lorsque Bêye-La Chèvres, s'écarte du village, nous pensons à sa cousine, la chèvre de M. Seguin. Mais l'auteur veillé et nous ramène au Sénégal.

K'Bèye cherche à échapper aux "sentes tordues" qui, bien qu'elles virent et lambinent "finissent toujours pour le Troupeau à l'enclos", c'est d'abord parce qu'elle n'a pas de tantes se, qu'elle n'a pas reçu les précieux conseils des sœurs de son père.

Que devrait-elle savoir ? Comment nous faire comprendre le contenu de cette sagesse sans l'intervention du ouolof ?
Le Lièvre est là pour le suggérer en chantonnant :

". Là où ,tu n'as pas
Tu n'as pas à y…
Ce qui t'y
Tu l'auras

Et l'auteur, sans le moindre embarras, nous invite à donner toute leur valeur à ces conseils en mettant, selon les circonstances, Juste ce qu'il faut "dans la peau des mots".
Cet exemple est caractéristique de la manière de l'auteur, dont le problème essentiel est de faire. passer la pensée ouolof et mieux encore la légèreté, l'improvisation, l'inspiration du récit oral dans la lecture d'abord, dans la langue française ensuite.

Avec un humour bien dignes de ses titres, Birago Diop fait définir par m'Bam l'Ane, le secret de son style, ou eau moins le problème qu'il cherche à résoudre :
Il avait appris ce qui entrait par l'oreille restait plus sûrement dans la tête et dans la mémoire ce que l'œil regardait ou croyait voir et oui-souvent n'était que leurre…
On allait jusqu'a prétendre que seuls les paresseux de l'esprit, les pauvres en cerveau, confiaient à ce qui était écrit, la garde ce que leur mémoire devait seule trier, vanner, tamiser et conserver comme une bonne ménagère ".

Nous pouvons accepter ces paroles comme une définition du génie profond des conteurs africains. L'oreille d'abord : c'est à dire la tradition, le souvenir, l'expérience, la sagesse accumulée.

Savoir écouter, est la première assurance. Savoir se souvenir est le meilleur moyen de s'aider soi-mène et d'aider les autres. Dire ce qu'il faut dire, au bon moment. Ce que voit l'œil, la description réaliste n'est qu'un élément mineur durcît, souvent d'ailleurs incomplet et trompeur : c'est la vision d'un seul, alors que l'oreille enregistre et synthétise ce que des générations ont vu.

Et puis, ce qui est écrit est figé une fois pour toutes, vrai ou faux. L'écrit est la solution de paresse, il évite l'effort de mémoire, il n'évolue pas, il conserve le bon et le mauvais, sans avoir besoin de "trier, vanner, tamiser".

C'est bien de on oralité que le conte africain tire sa valeur, et sa densité, sans doute aussi son étrangeté, sa profondeur morale. Ces contes nous parviennent comme l'eau d'un ruisseau qui, de pierre en pierre, de cœur en cœur, de rive
en rive d'âme en âme, a acquis sa saveur propre, sa pureté,
sa teinte, et même quelque impureté au charme insolite ,entraînée par l'insouciance du courant.

Tout cela nous le retrouvons dans les "Contes et Lavanes" où l'accord de l'oralité et de l'écriture n'a jamais été aussi près de se réaliser.

Un autre aspect du style de Birago Diop est une sorte de pan-vitalisme qui anime la nature entière. Le sentier souffre d'avoir "la peau trouée" par les sabots rageurs de la chèvre; Par contre l'image mêle souvent le Réel et l'Idée la description réaliste et la pensée abstraite.

Kéwel-la Gazelle, lorsqu'elle bondit est *lancée par la fronde de la peur", et Kakatar-le Caméléon aune peau docile" qui est"toujours de l'avis de chacun". Comment le vaniteux Mor Yacine pourrait-il être mieux décrit que cette image des plus réalistes : il s'a te pour se faire remarquer,"comme un haricot esseulé dans une marmite d'eau bouillante".

C'est que le conte n*est pas seulement un divertissement: il est tout a la fois l'expérience, la sagesse, le message des anciens, une véritable "bouillie-du-Bon Dieu", nourriture totale de l'esprit, Aussi ferait-on en parcourant l'ouvrage un recueil de sentences percutantes, élaborées, chargées de sèves et d'humour

" La vérité dépend de qui la dît , aussi. Bien que de qui l'écoute "
" Le pied qui ne reste pas en place finit par marcher sur un étron "
" on a beau laver les entraves de L'âne, elles sentiront toujours l'urine "
" Il vaut mieux être un bon marcheur que bouder contre l'étendue de la savane "

Mais si Birago Diop est bien a l'inverse de Boki, ce "gardien de mémoire", ce berger de souvenir",s'il doit beaucoup à ces Ritikattes qui faisaient "parler rire et pleurer un crin de cheval", il a également une forte personnalité d'écrivain qui apparaît dans ses descriptions d'une écriture ferme, et digne de nos plus grande prosateurs :

" Près de l'immense canari toujours rempli d'eau pour les ablutions et pour la soif du milieu du jour, un jeune disciple avait attisé et nourri le feu qui brûlait matin et noir, tan-tôt ardent, tantôt assoupi, toujours cerné de bouilloires aux flancs noircis ".

De même, l'écrivain se révèle dans l'art de terminer un conte :

" Et c'est depuis ce baobab et ce tamarinier, depuis ce marigot et ce temps-là que les phacochères marchent et courent toujours tète basse car la :honte pèse trop lourd ".

Tout cependant n'est pas de la même veine. J'aime trop Birago Diop pour ne pas exiger beaucoup de lui: C'est pourquoi j'ai été peiné de relever quelques négligences inhabituelles. La virtuosité par exemple, a des limites, limites franchies par la première phrase de "Bouki et son oeuf": Je n'aime guère non plus, le court horizon barrait son tortueux chemin", ni "la vêture changeante",ni les "s'esbaudir", ni les pas "frêlement vibrants" et autres archaïsmes qui
sentent une lecteur trop fraîche de Rabelais. Je pense même qu'un conte comme "Bouki Orpheline" n'ajoute rien à la gloire de l'auteur.

Mais tout ceci est balayé par ce que l'ouvrage nous apporte de, vraiment nouveau.

Dans ses M'Bandeses et Lavanes, Birago Diop se renouvelle et nous prouve qu'il peut, s'il le souhaite abandonner sa charmante ménagerie et animer d'autres personnages, de bons et vrais hommes.

L'histoire de Serigne Talba M'Baye nous a heureusement rappelé les excellents dialogues, l'intensité du récit de "l'Os" ou du "Prétexte".

Et Sa M'Baye au milieu de son champ "tel le jeudi au ventre de la semaine", Sa M'Baye le sage, qui fait cuire "ses patates, au de "sa" bûche, dans "son" champ, sous "son" arbre, buvant l'eau de "sa" oeyane, peut-on imaginer sénégalais, plus
universel plus dépouillé que lui ? II n'a q'une phrase à dire

" C'est que je n'ai nul besoin chez personne !"

Pour lui seul, en lui-même, Sa M'Baye a construit son bonheur. Cette sérénité, fruit de la simplicité nous savons désormais que Birago Diop peut l'atteindre;.

" Ce qui ne se doit dire peut se chanter. Ce qui ne peut se chanter se danse."

Les contes nous disent ce que nous devons savoir. Pour le reste, ils le chantent et quand la chanson nous serait, à nous profanes, par trop obscure, Birago Diop s'en titre par des cabrioles légères comme Kévell-la Oazelle, qui exprime tant de choses sans parler par sa grâce, ses esquives, ses bonds et sa vélocité.

Et la langue française, tel le Vieux Bour Gayndé s'en trouve soudain rajeunie.

29 MAI 1963